Liberté // raison. Partir de son ancienne vie professionnelle, à l'assault d'une nouvelle expérience... d'entreprise, de son entreprise. Liberté, j'écris ton nom ! Et le tout au fronton de mon entreprise ! Elle est belle et tentante, l'aventure de l'entrepreneur.
"On s'est lancés fin 2015" nous ont raconté Etienne Fouque et Pierre-Thomas Cochaud Doutreuwe, associés de 22°. "C'est le désir de réaliser nos propres projets qui nous a conduits à faire le grand saut, quelle que soit l'échelle, quelle que soit la commande. (...) Par conviction, par envie de tenter l'aventure, de monter notre agence. Et la principale motivation est certainement l'envie d'être son propre patron... tout simplement." D'autres se sont lancés, et vous le verrez à travers notre série de témoignages, pour d'autres raisons, tout aussi légitimes, mais plus de l'ordre de la raison...
L'envie, c'est néanmoins le principal élixir d'indépendance, comme pour Raphaële Héliot. Cette dernière, consultante et médiatrice en architecture et villes durables, bercée dans une famille d'entrepreneurs, est même probablement tombée toute petite dans le chaudron des entrepreneurs. Et pour elle, l'aventure de l'autoentreprise "c'est plutôt de l'ordre de l'évidence". Une évidence, renforcée par ses passages en entreprise. "A la fin de mon dernier CDD de 18 mois, dans un CAUE, j'étais contente de retrouver ma liberté. Et chaque fois que j'ai été salariée, je me sentais 'enfermée'. Avec des idées et des projets plein la tête, une capacité de contacts et de réseaux, un besoin de pouvoir organiser mes journées et mon travail librement, de me créer un fil conducteur professionnel qui n'est répertorié nulle part." La liberté - ou la potion magique - donne des ailes.
Innovation // Raison. D'une idée lumineuse, naît l'entreprise ? Oui, mais toute entreprise ne naît pas d'une idée innovante, et toute idée, si innovante et forte de sens soit-elle, n'est pas à retenir pour créer son entreprise. Une idée ne devient "de génie" qu'en phase avec son temps. L'essentiel, la vocation première d'une entreprise est de répondre à une demande, une envie, un besoin existant à l'instant T ou allant se créer à "T+1". En urbanisme, paysage ou architecture, l'idée est bel et bien de répondre à une commande, qu'elle soit publique ou privée. L'entrepreneur s'inscrit dès lors dans une tradition, par exemple de réponse à un appel d'offres pour l'édification d'une partie de ville à (re)créer. On part d'une commande initiale pour anticiper de nouvelles innovations urbaines, ou réinscrire l'espace dans une tradition d'usage oubliée. L'innovation intervient alors en complément ou en ajustement d'une commande publique la plupart du temps déjà figée, par devoir de raison - et parfois par manque d'inspiration de la collectivité. Un constat qui inspire Loic Lorenzini, consultant en développement territorial davantage tourné vers des partenariats avec le privé : "Le manque d'innovation des collectivités dans la rédaction des marchés publics est clairement un frein. Là où il est nécessaire de faire preuve d'innovation, la plupart des collectivités, pour des tas de raisons légitimes, en restent strictement au règlementaire." De la même manière et par analogie, l'envie d'innovation, émanant d'un acteur public au travers de sa commande, comme d'un entrepreneur de par son approche de travail, est largement tempérée par l'exigence de raison : "En tant qu'entrepreneur, le plus compliqué est de tout gérer de front. Communication, commercialisation, production, gestion... Au début, on a tendance à vouloir en faire plus que demandé. On apprend progressivement.".
Collectif // Individuel. L'individualité, si elle est trop forte, est un frein à l'entreprise... individuelle. On ne naît pas avec tous les dons et on n'a pas assez d'une vie pour maîtriser tous les aspects d'une création d'entreprise, alors, oui, l'entrepreneur, même individuel, doit jouer collectif pour vaquer à tous les fronts. Quitte à s'associer, si le projet le mérite. Barbara Teisserenc, architecte associée pour Silhouette Urbaine Architectes-Urbanistes, l'affirme même comme une nécessité afin de faire face à l'exigence de la commande publique : "Les projets se complexifient et on voit aujourd'hui de nombreux acteurs revendiquer leur droit à être intégré en amont dans le processus de conception du projet. Nous sommes face à une production collective et négociée. Dans ce contexte il nous est apparu essentiel de nous regrouper. Le fait d'offrir dans une même structure des compétences diversifiées nous a permis de nous distinguer et d'accéder plus rapidement à une commande importante et diversifiée." Trouver l'associé ou le(s) partenaire(s) de travail idéaux à sa survie dans la jungle de... son entreprise, ou à minima des appuis de taille, telle est l'ambition déclinée. Etienne Fouque et son associé résument ainsi à propos de leur création d'agence : "Nous nous connaissons depuis nos études de paysage à l'ESAJ, nous avions ce projet en tête depuis cette époque-là, ça ne nous a jamais lâchés. Après notre diplôme, nous avons continué à faire des concours ouverts ensemble. Nous avions besoin de continuer à travailler pour voir si monter notre agence était possible, si nous étions complémentaires.". Blake n'aurait probablement pas résolu autant d'affaires sans Mortimer.
Réseau // Expérience. Et si la clé du succès entrepreneurial se résumait en deux mots ? Deux petits mots, on vous le dit, on l'a écrit. L'un entraîne la plupart du temps l'autre. Qui dit réseau dit expérience, et qui dit expérience dit temps, et qui dit investissement, dit temps, dit expérience, dit réseau. La boucle est bouclée, et justement, d'un cercle, vous en aurez besoin. "Je n'étais pas convaincu de vouloir entreprendre comme tous mes amis paysagistes indépendants." nous a confié Johann Laskowski, architecte-paysagiste créateur d'Epigénie, à propos de ses réseaux. Et pourtant. "J'ai donc continué de chercher du travail, de me former et d'enseigner ponctuellement. La création de l'entreprise s'est faite car je suis allé dans la Drôme, que j'ai découvert une nouvelle dimension possible à mon métier et que j'ai gardé des contacts, qui certains sont aujourd'hui des clients. J'ai ainsi créé cette entreprise parce que j'avais des clients, parce que j'avais engagé un travail avec et pour eux." Un bon cercle professionnel est un cercle fermé, et un peu ouvert à la fois, ouvert à la nouveauté, aux // opportunités.
Élan // Badaboum. Une idée nouvelle en tête, et un élan d'entrepreneur qui nous pousse en avant ? Zou ! Création d'entreprise ! En définitive, l'idée, même si elle paraît belle, est toujours à investir. "Foncez !" vous conseille même Hélène Sèverin, autoentrepreneuse qui n'en perd pas moins l'envie de travailler également en tant que salariée. "Vraiment, vous n'avez rien à perdre, tout à gagner : de la connaissance, de l'expérience, des compétences, un carnet d'adresses bien rempli, une ligne de plus sur votre CV qui fera toute la différence. Les employeurs ne veulent plus seulement des personnes avec des compétences : ils veulent des gens qui ont vraiment de l'envie, qui savent entreprendre, manager, gérer une crise, bref tout ce que vous allez rencontrer pendant votre expérience d'entrepreneur."
L'aventure semble prometteuse. "Je n'avais pas de vision de l'entreprise concède Loic Lorenzini. J'y ai découvert de la liberté, avec tout ce que cela comporte de devoir. C'est aussi de la combatitivité, de la force morale au quotidien." D'aucuns ne regrette, parmi nos entrepreneurs, l'expérience menée en figeant, pour un moment plus ou moins grand, leur monde professionnel dans une boîte. À moins d'une perte d'élan personnel durable ou d'un risque économique immesuré - à moins d'un grand "badaboum" - cette nouvelle aventure professionnelle amènera assurément un nouvel élan dans votre vie professionnelle comme personnelle.
L'ensemble des entretiens "Parcours d'entrepreneurs" seront à retrouver sur le blog dans les prochaines semaines :
Entrepreneurs #1 | Expérimentateurs
Johann Laskowski, architecte-paysagiste, Epigénie
Loïc Lorenzini, consultant territorial développement durable, Epicéa
Entrepreneurs #2 | Entrepreneuses
Raphaële Héliot, consultante et médiatrice en architectures et villes durables
Hélène Séverin, chargée d'études économiques freelance
Entrepreneurs #3 | Associés
Pierre Thomas Cochaud Doutreuwe et Etienne Fouque, paysagistes-urbanistes, Agence 22°
Barbara Teisserenc, architecte-urbaniste associée, Agence Silhouette Urbaine