Ateliers atypiques #1 | Art out

Par Le 19/11/2018

Urbanisme, atypisme et innovation artistique... À travers notre nouvelle série d'interviews, on part à la découverte de plusieurs agences, ateliers dits atypiques, ayant fait de l'innovation leur marque de fabrique, pour une approche du territoire réinventée. Une collection qu'inaugurent les inspirés Clément Daignan, de l'Atelier Impala à Limoges, et l'équipe du POLAU (pôle arts et urbanisme) menée par Maud Le Floc'h, qui sèment d'un atypisme et d'une singularité parsemée de création artistique, leurs projets dans la ville & les territoires.

Portrait Clement Daignan_Atelier Impala

Atelier Impala

Clément Daignan

 [Design et conception scénographique]

Photographie : Cannelle Dugas

Maud Le Floc'h crédit Cyril Chigot

POLAU - pôle Arts et Urbanisme

Maud Le Floc'h

[Création artistique dans les territoires]

Photographie : Cyril Chigot

Atypique ou typique, votre parcours ? En quelques mots, vos cheminements professionnel et personnel avant l'agence ?

En préambule, on aimerait simplement que vous vous présentiez, vous, créateur ou représentant de votre atelier.

L'Atelier Impala est une agence de design & de scénographie.

Pour ma part, je m’appelle Clément Daignan, initiateur de l'Atelier.

Mon profil est plutôt atypique. A l’origine, j’ai un profil scientifique : Bac S / Licence de Biologie / Master en sciences de l’Environnement, un parcours universitaire relativement « classique » donc. Néanmoins, lors de mon stage de fin de Master, j’ai pris part à une étude visant à créer un sentier d’interprétation pour le compte d’une collectivité territoriale. Cette expérience a été une remise en question importante car elle me faisait toucher du doigt des disciplines nouvelles : l’aménagement du territoire et la conception de dispositifs de découverte.

J’ai alors intégré l’École d’Ingénieurs Polytechnique de l’Université de Tours (Polytech’Tours) spécialité Génie de l’Aménagement. Cette formation a été un véritable catalyseur pour moi car elle m’a permis de développer des compétences qui répondaient à mes envies et attentes, ainsi qu'à ce que je projetais de ma pratique professionnelle future. Finalement, ce sont mes années d’ingénieur qui se sont révélées les plus riches mais je ne regrette pas mon parcours antérieur qui m’a apporté une ouverture scientifique encore précieuse aujourd’hui.

A la suite de l’obtention de mon diplôme d’ingénieur, j’ai intégré l’agence Ville Ouverte à Paris (aujourd’hui Montreuil), qui m’a permis de travailler sur divers projets urbains. Suite à cette première expérience, j’ai intégré le Conseil départemental de la Haute-Vienne en tant qu’ingénieur. J’ai alors pris en charge la gestion d'un service en ayant pour rôle de développer des dispositifs d’aménagement et de découverte des espaces péri-urbains et naturels. Ensuite, à l’agence de design Axone Design à Lille, en tant que chef de projet design urbain, j’ai mis en place de nouveaux outils de communication et de signalétique (conception de parcours de découverte près d’Amiens et Nancy, signalétique pour le centre hospitalier de Lille, design graphique / cartographie / suivi de projet dans le cadre de l’installation de bornes touristiques numériques pour l’Euro de football 2016, etc).

Pour diverses raisons, je suis revenu m’installer à Limoges et il m’est apparu comme naturel à ce moment-là de songer à créer ma propre structure (c’est un projet que je mûrissais depuis quelques temps sans oser franchir le cap). C’est ainsi que début 2017, l’Atelier Impala est né.

Atelier Impala Logo de l'Atelier Impala

Le POLAU-pôle arts & urbanisme est une association, structure ressources et de projets.

Il a été créé par Maud Le Floc’h, actuelle directrice de la structure. Atypique, son parcours l'est principalement par les choix de spécialisation qu'elle a opérés au détour de sa formation initiale plutôt « classique ». Ingénieure en urbanisme, elle a tôt initié des expériences dans les milieux de l'édition, de la communication et des arts.

Diplômée en Aménagement du territoire et urbanisme (CESA-Polytechnique Tours) et en Sciences de l’information (CELSA-Paris-Sorbonne, 1990), Maud le Floc'h œuvre d’abord comme journaliste spécialisée (Murs-Murs, le magazine des villes) puis en qualité de rédactrice en chef de la Lettre de l’Économie Culturelle. Elle développe progressivement la notion d’éditorialisation des espaces urbains. Elle est missionnée par l’agence Richard Rogers puis par le festival Paris Quartier d’été, entre 1993 et 97. De 98 à 2005, elle co-dirige la Cie Off et produit alors des spectacles vivants grand format pour l’espace public.

En 2004, Maud le Floc’h fonde l’Agence Wille et développe le projet du  POLAU. Celui-ci est créé en 2007 avec le soutien du Ministère de la Culture. Suite à diverses expériences avec Notre Atelier Commun-Patrick Bouchain, avec Villes et Projets - Nexity, avec PSA, avec la Ville de Paris (DPMC), Maud Le Floc’h soutient l’essor de l’urbanisme culturel comme nouvelle compétence d’AMO et de maîtrise d’œuvre.

Nous formons actuellement une équipe de 7 membres - dont 2 intermittents - réunie autour d'un projet commun. L'émergence et la valorisation de la création artistique dans la ville et de l'espace public.

Polau pole arts et urbanismeLogo du POLAU - pôle Arts & Urbanisme

Atypique, votre atelier ?

Le temps est maintenant venu de présenter votre agence & l'activité atypique que vous portez au jour le jour.

J’ai créé l’Atelier Impala autour de deux disciplines charnières pour moi : le design & la conception scénographique (culturelle et événementielle).

L’aspect Design comprend le design d’espace / d’environnement et des objets / dispositifs qui le composent...

L’aspect Scénographie correspond à la création des ambiances et à la mise en scène des informations au travers de concepts créatifs...

Le but affiché est d’imaginer et de proposer des projets innovants et/ou ludiques et vecteurs d’expériences. Nous intervenons en création de lieu (du design de l'objet à la création globale de l'espace). Notre approche est centrée sur l'usager final et notre expertise vise à lui offrir le cheminement intellectuel et physique le plus enrichissant possible.

L’activité est intimement liée à l’urbain puisque les interventions ont pour but d’enrichir les expériences de territoire et structurer les espaces. Le background d’urbaniste est alors essentiel pour appréhender toutes les composantes urbaines et proposer des projets en adéquation avec les objectifs et la réalité du territoire.

Le POLAU est une structure ressource et de projets située à la confluence de la création artistique et de l’aménagement des territoires. Depuis 2007, il développe en actes un laboratoire d’urbanisme culturel à destination des artistes et des opérateurs, des chercheurs, des collectivités et aménageurs, en France comme à l’étranger. En croisant deux cultures professionnelles, il contribue au renouvellement des registres de la création artistique et de l’intervention urbaine. Les enjeux de territoire sont appréhendés comme de nouvelles matières à création ; le levier artistique est proposé comme outil de requalification souple des territoires.

Par son activité d’incubations et expérimentations, il accompagne des projets artistiques liés à la ville et aux territoires. Au titre d’urbaniste spécialisé, il développe un volet d’études urbaines et d’AMO. Enfin, il produit, capitalise et diffuse la ressource émanant de ces croisements.

Au sein du volet études urbaines, le POLAU propose des formes d’AMO ou de prestations de conseil auprès des urbanistes, aménageurs ou collectivités, afin d’intégrer des approches artistiques et culturelles dans le cadre de projets urbains. Défendant l’idée d’un urbanisme culturel, il met en place les médiations et traductions nécessaires pour l’outillage artistique des processus de fabrication de la ville. Renouvelant fréquemment les formes et sujets traités, le POLAU souhaite conserver une force d’innovation quant aux évolutions méthodologiques en urbanisme. Au-delà d’une utilisation décoratrice ou animatrice de l’art en urbanisme, il a par exemple travaillé autour de la sensibilisation artistique aux risques naturels ou encore autour des nouvelles fictions urbaines et de leur effectivité ou contre-effectivité (dans le cadre de la lutte contre la périurbanisation par exemple).

D'où est venue l'idée ? Quelles ont été les inspirations, l'élément clé qui vous a amenés à vous lancer ?

L'origine du projet, s'il y a eu un événement de vie ou un 'tilt' d'où tout est parti.

Le projet de création d’une entreprise est présent depuis mes études. Au début, il y avait surtout la peur de ne pas être légitime, d’avoir du mal à trouver des clients par manque d’expérience. J’avais donc décidé de faire mes premières armes en agences ou dans le secteur public pour appréhender tous les aspects des projets, des décideurs jusqu’aux prestataires. Cela s’est révélé très utile car j’avais une idée biaisée du monde des agences d’urbanisme. J’imaginais, un peu naïvement, que j’allais travailler sur de l’urbanisme très opérationnel, de la programmation urbaine, en créant les grands espaces de demain. Je me suis rapidement rendu compte que la dimension « urbanisme réglementaire » était prépondérante et ne collait pas forcément avec mes aspirations d’alors.

Ce qui est intéressant, c’est qu’à travers mes interventions en agence d’urbanisme, dans le public ou en agence de design, j’ai pu aborder un grand nombre de situations, bien appréhender les rouages de la commande publique et les différents points de vue des professionnels.

D’un autre côté, je pense que mon envie d’être indépendant me conduisait à chaque fois à vouloir sortir du cadre de travail que pouvaient imposer les structures dans lesquelles je me trouvais. Le secteur public était le plus lourd en termes d’organisation. Le travail en agence offrait plus de latitude et d’autonomie mais la vision imposée par les dirigeants était parfois contraignante et en contradiction avec mes convictions profondes.

Quand j’ai choisi de quitter mon job de chef de projet à Lille pour rentrer à Limoges, la création de l’entreprise s’est révélée évidente. Il fallait que je tente de développer ma vision maintenant que j’avais pu toucher à plusieurs disciplines.

C’est alors que j’ai créé l’ATELIER IMPALA. Le nom est lui aussi venu assez naturellement. ATELIER car je voulais imprimer le côté créatif et artistique à mon projet. IMPALA car, tout d’abord, j’aime la sonorité de ce mot et parce que l’impala est une antilope très rapide, réactive, qui surmonte les obstacles dans un environnement parfois hostile. Il y avait une évidence à choisir ce nom.

En réalisant l’opération Mission Repérage(s), un élu - un artiste (prod. Lieux Publics - Éditions L’Entretemps, Collection Carnets de rue) dans treize villes en France en 2006, Maud Le Floc’h pose les germes de nouveaux outils d’analyse et de prospective urbaine, proposant la veine artistique comme mode de diagnostic et d’intervention en matière d’aménagement du territoire.

C’est à partir de ce travail et de sa double casquette artistique et urbanistique qu’elle développe le concept et les outils du POLAU. Elle réunira progressivement une équipe d’administratrices et d’administrateurs très présent-e-s ainsi qu’une équipe elle-même riche de profils mixtes, urbano-culturo-compatibles. Depuis 2007, le POLAU est soutenu par le Ministère de la Culture, le Conseil Régional du Centre-Val-de-Loire et la Ville de Tours.

Quelles sont les convictions que vous défendez ?

Les concepts clés qui vous tiennent à coeur, et pourquoi ces éléments méritent selon vous d'être au coeur de l'approche urbaine.

Les concepts-clés de cette aventure sont, l’ECHANGE, la CO-CONSTRUCTION, l’ADAPTABILITE, la SOUPLESSE, l’AGILITE, la PERTINENCE et la PENSEE DESIGN.

Il s’agit, à tout stade du projet d’associer les acteurs les plus pertinents pour la conception et la résolution des problèmes, ainsi que de réaliser les retours nécessaires afin d’arriver à une finalité répondant parfaitement au besoin initial.

Ces concepts sont le fruit de mes expériences passées, essentiellement. J’ai essayé de conserver ce que je trouvais efficace et adapté à ma pratique professionnelle en gommant ce qui ne me convenait pas. J’espère réussir et je travaille, chaque jour, pour atteindre cet idéal.

Le concept principalement défendu par le POLAU est celui d’URBANISME CULTUREL. Il s’agit de défendre la  portée innovante de la création artistique et des outils culturels associés, afin, notamment, de renouveler les approches en urbanisme.

L’idée conductrice du POLAU consiste à montrer que les artistes peuvent apporter aux urbanistes, et inversement. Les deux dynamiques peuvent se « co-instrumentaliser » de manière fertile. Dans certaines conditions… à travailler et à garantir.

Les projets sur lesquels vous apportez votre expertise, et pensez innover ?

À ce moment de l'entretien, il est temps de dégainer vos réalisations, photos, croquis et tout autre élément graphique à l'appui !

L’ATELIER IMPALA est une jeune agence mais j’ai déjà pu prendre part à plusieurs projets. À chaque fois, le but est d’apporter mon expertise et des propositions originales à mes partenaires ou à mes clients. Que ce soit sur des questions de méthodologie ou sur la conception des aménagements en eux-mêmes, j’essaie d’apporter des solutions novatrices (notamment quand les interventions sont temporaires). J’essaie de concevoir avec ces acteurs des installations mêlant physique et digital ou de travailler des concepts particuliers via des mises en scène, des créations d’ambiance ou de mobilier spécifique.

Arche by atelier impala

Arche by Atelier Impala

Illustration parcours d interpretation sentier des vaseix clement daignan pour le departement de la haute vienne 2_Atelier Impala

Parcours d'interprétation - Sentier des Vaseix en Haute-Vienne

Illustration projet coworking ester design tablette by atelier impalaProjet Coworking Ester - design tablette - Atelier Impala

Illustration siege projet coworking by atelier impala

Projet coworking - design chaise - Atelier Impala

Le POLAU a contribué au traitement artistique et culturel de nombreux espaces et enjeux de territoire, qu’on imaginait presque exclusivement techniques et dédiés aux urbanistes : sous-faces autoroutières et point de passage (Point Zéro avec l’ANPU-Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine à Tours et Saint-Pierre-des-Corps, plus récemment Reconquête Urbaine, requalifications artistiques et paysagères de passages et portes sous le périphérique parisien), risque inondation et PPRI (Jour Inondable avec La Folie Kilomètre à Tours, et plus récemment une AMO centrée sur l’appel à projets innovants Culture du risque inondation – Plan-Rhône/DREAL Auvergne-Rhône-Alpes), périurbanisation et habitat collectif (Le Parc du Bourdieu, Saint-Médard-en-Jalles), etc.

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Jour inondable -  24h d'expédition artistique et urbaine - proposition hybride autour du risque d'inondation imaginée par le collectif La Folie Kilomètre - Crédit Photo © Pascal Lordon

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Passage Miroir – dans le cadre de Reconquête Urbaine - Encore Heureux Architectes – Porte de Montmartre, Paris 18ème - 2017 - un décor urbain avec revêtement des sols et murs en matériaux de récupération (miroirs et panneaux de bois). - Crédit Photo © Cyrus Cornut

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De Passage - dans le cadre de Reconquête Urbaine - Malte Martin+Les Arts Codés - Passage de l'Ourcq, Paris 19è - 2017 - dispositif lumineux permettant de visualiser les flux (circulation sur le périphérique, trafic routier, ferroviaire, fluvial et piétonnier) - Crédit Photo © Maria Spera Apertura

Les éléments qui vous inspirent aujourd'hui plus que tout dans votre pratique du métier, l'évolution de votre atelier ?

Au fil de l'évolution d'une entreprise et des rencontres, des partenariats qui se nouent, à force d'être confrontées à la réalité du terrain, les idées demeurent mais le projet évolue malgré tout. Quelles sont les inspirations qui sont venues en cours de route ?

Le projet de base est une chose mais effectivement, au fur et à mesure de la pratique, celui-ci évolue. La première année d’existence de l’ATELIER IMPALA aura été riche en enseignements à ce niveau et le projet d’entreprise ainsi que l’idée que je m’en faisais a logiquement évolué en fonction de mes premières expériences d’entrepreneur et de prestataire.

L’acquisition récente d’une imprimante 3D m’a permis de donner vie à des concepts qui n’avaient jusqu’ici pas encore franchi le cap de la production. De manière générale, je pense que les nouvelles technologies numériques, de modélisation, de production révolutionnent l’approche du design et la faculté que nous avons de représenter nos idées. C’est une voie que je vais chercher à développer de plus en plus, en créant des outils répondant aux besoins rencontrés et en ayant toujours pour objectif une utilité finale avérée.

Nous sommes aujourd’hui plus que jamais convaincus des apports de l’urbanisme culturel, qui s’est largement diffusé au cours des dernières années. Nous restons néanmoins vigilants face à un retour assez massif de l’utilisation trop « cosmétique » de l’art et de la culture.

Nous souhaitons pouvoir continuer à défendre les apports des approches artistiques dans leurs radicales différences et postures critiques associées.

 

Le mot de la fin, l'élément que vous aimeriez transmettre par votre activité ?

L'élément à retenir de votre entretien. On vous laisse carte blanche.

Le mot de la fin sera une citation d’Edwin Herbert Land, un inventeur et scientifique américain : "Innover ce n’est pas avoir une nouvelle idée mais arrêter d’avoir une vieille idée".

Il y a encore plein de choses à inventer pour bâtir les territoires de demain et nous sommes friands de nouveaux sujets et/ou défis. Nous espérons bientôt pouvoir nous atteler aux enjeux contemporains que sont notamment l’accompagnement de la transition énergétique ou encore l’évolution des usages numériques de la ville. Il faudra inventer formes, outils, mots et concepts…


 

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