Inspiré, innové. L'innovation est à l'origine de ces agences ou ateliers inspirés, essentiels à la réinvention permanente de l'urbanisme, à une ère où la ville se renouvelle sans cesse. D'un collectif d'urbanistes à une agence d'architecture spécialisée dans le design notamment extérieur, en passant par une entité à l'origine de la création d'applications urbaines connectées, on a pris le parti d'en présenter quelques emblèmes à travers les 'Ateliers Atypiques'.
Chacun à leur manière, les créateurs de ces entreprises impulsent leur propre manière de créer et de penser le projet urbain. Ainsi que l'évoque Clément Daignan, initiateur de son aventure entrepreneuriale : "J'ai créé l'Atelier Impala autour de deux thématiques charnières pour moi : le design et la conception scénographique. (...) Quand j'ai choisi de quitter mon job de chef de projet à Lille pour rentrer à Limoges, la création de l'entreprise s'est révélée évidente. Il fallait que je tente de développer ma vision."
Leur atelier est toujours né d'une envie de changement. Changer sa vie, créer son propre métier, créer la ville autrement, tenter de changer la ville à sa petite échelle et librement. Et pourquoi pas de manière collective, comme pour le Lavurb, laboratoire de la vie urbaine, dont Florian Guérin nous a narré l'origine. "Le Lavurb est né – comme beaucoup d’innovations – d’un hasard heureux. Certains d’entre nous étaient déjà impliqués activement au sein de collectivités territoriales (...) D’autres dans la recherche (...) Nous avons développé un laboratoire qui analyse de manière indépendante les phénomènes urbains, fonctionnant de manière flexible, sans enjeux de pouvoir hiérarchique ou d’intérêts politiques."
Ils sont plusieurs à nous avoir fait part de leur ambition de faire évoluer les lignes, à partir d'un atelier monté de toutes pièces pour créer de nouvelles façons d'approcher l'urbanisme.
Inspiré, il faut l'être pour innover.
Et ainsi, se rendre inspirant.
Inspiré, inspirant.
Idées idylliques. Et l'idée fût. Mais pas en un instant. Les idées fusent, plutôt, avant d'en arriver à un projet abouti de création. À l'origine de tout atelier innovant, il y a une idée, plusieurs approches, conceptions, réflexions concernant un hypothétique projet ou un service utile aux habitants ou aux institutionnels.
L'idée de créer son atelier, elle peut être initiée à partir d'un manque dans l'offre existante. Un constat établi par Julie Marchand, co-initiatrice de Connaixens, entreprise à l'origine d'une application sur la ville en cours de développement : "Mon projet d'entreprise, c’est l’aboutissement d'un constat personnel sur des parcours scolaires ignorant la ville, au sens de l’histoire urbaine ; l’absence de proximité avec le territoire de l’école ; des savoirs denses, complexes, qui exposés comme des travaux de recherche ne sont que peu accessibles ; des professionnels déconnectés des valeurs du territoire où ils interviennent. (...) Le déclic bien évidemment, c’est la recherche."
Un atelier peut également naître d'une envie de voir la ville, les projets autrement, d'une alternative à créer. L'architecte Sandra Tchinianga, créatrice de PlanAfrika, nous a ainsi fait part de son aspiration de faire émerger de nouvelles manières de concevoir la ville africaine : "Ma démarche est d'autant plus atypique que je veux mettre en pratique en Afrique ce que trois écoles d'architecture françaises m'ont appris. Un vrai challenge sachant que les concepts défendus en France sont très peu usités et très novateurs ici à Pointe-Noire au Congo, où je suis établie. (...) J'aimerais que cet entretien soit le reflet de la réalité africaine."
Et au fil du développement du projet d'entreprise, des inspirations peuvent venir et des besoins se faire ressentir, pour amener le projet à un état qui n'est jamais final. On parle d'inspirations actives, qui amènent l'atelier à toujours se remettre en perspective et faire évoluer son approche. A l'origine d'un atelier il y a des concepts, des approches qui évoluent et se réinventent au fil de l'eau.
Participa(c)tif. À un, on ne peut pas rien. À plusieurs, toutefois, on co-construit, on partage ses savoirs, ses doutes et ses interrogations, on questionne davantage les pensées préconçues. L'urbanisme est toujours lié à un projet. De ville ou de territoire. Tout aménagement ou règle impactera l'équilibre futur d'un espace, in extenso de ses habitants. À une ère où le monde se réinvente perpétuellement, le pouvoir top-down, du haut vers le bas, est souvent remis en cause. L'urbanisme apporte des solutions par la participation, vue comme une nouvelle forme de co-construire les territoires ensemble. C'est un état de fait ayant amené Pascal Hussonnois à créer son agence, Territoires Communs. "C’est en réaction à certains modes de faire, certaines méthodes top-down, concertations à minima, pas d’apport de la maîtrise d’usage, aménagement « hors sol », absence de vision urbaine, que j’ai mesuré le besoin de revendiquer l'action de chacun sur la ville, de croiser les initiatives publiques avec celles des acteurs des proximités, et ainsi décloisonner les univers afin de permettre à l’ensemble des acteurs de se comprendre et de s’hybrider. Localement, je me suis rendu compte que les inégalités spatiales et territoriales se creusent, comme partout ailleurs en France. (...) Convaincu dès lors que l’économie collaborative peut être une chance pour les territoires et ceux qui les habitent, j'ai conçu mon activité comme une sorte « d’engrenage » aux pratiques participatives et à l’émergence de projets co-construits dans les domaines de la ville et de l’habitat".
Alice Pfeiffer, créatrice du Facteur urbain, a même fait du nom de l'agence qu'elle a créée, une sorte de vocation. "Le Facteur urbain est issu de mon désir de faire converger un ensemble d’expériences, de questionnements et d’engagements dans le sens d’une fabrique des territoires solidaire et source de cohésion sociale. Le nom même de la structure n’est pas un hasard : un facteur est un passeur de parole, un médiateur dans son sens le plus strict. À la manière du facteur de Georges Moustaki, « messager » permettant à l’amour de voyager, le Facteur urbain fait voyager la parole de chacun.e pour construire des territoires urbains, c’est-à-dire civils, affables, courtois, polis, qui font preuve d'urbanité et témoignent d'un grand usage du monde." Messager et intermédiaire de parole, médiateur d'urbanité "humaine".
Concept duel. Questionner la ville et les territoires n'est pas sans poser questions. Et des questions, des problématiques qui naissent avant même que l'idée d'un projet n'existe, des conceptions plurielles qui s'affrontent autour d'une même idée, ce n'est pas ce qui manque. Dans ces ateliers d'urbanisme et tant d'autres. Comme les membres du Collectif Point Virgule, réunis autour de l'évolution des Zones d'Activités Economiques, l'évoquent eux-mêmes : "Point Virgule c’est de belles rencontres : on apprend à se connaître au fil des projets, à s’accorder après de longues heures de débat, parce que l’on a la même idée mais pas les mêmes mots pour l’exprimer. C’est très enrichissant intellectuellement et humainement."
L'émulation collective est positive, elle intensifie la réflexion autour d'idées neuves et surtout partagées. On assiste régulièrement, même au sein d'agences animées par une vision générale commune, partagée entre ses membres, à des duels de concepts, des visions qui s'opposent, sans toutefois se contredire, sur la manière de concevoir un projet de ville, un aménagement urbain. Un élément anodin pour les uns pourra revêtir un tout autre sens pour d'autres.
Et lorsqu'on est un atelier qui initie une approche innovante, différente du projet urbain, il faut également faire face parfois à une réticence du monde extérieur, une appréhension au changement, à l'évolution des modes de pensée, de concevoir. On pourrait se dire que les collectivités qui font appel à des ateliers à l'approche innovante, par exemple, partagent leur vision du projet urbain, mais l'atelier peut également s'avérer être un vecteur, un relai d'idées nouvelles et innovantes pour amener les acteurs de la ville à concevoir leurs projets autrement et plus en phase, également, avec le monde d'aujourd'hui et les attentes des habitants. "L'humain est au coeur de l'action (...) au centre de nos projets" comme le rappelle Claudia Dias, architecte internationale venant de monter sa propre agence, dias3a, puissamment inspirée par son expérience aux quatre coins du globe. Elle l'affirme : "Le métier que nous exerçons et les compétences que nous avons regroupés au sein de notre agence, nous permettent d’être un acteur au cœur des décisions. Les éléments qui nous inspirent (...) se résument au maintien du partage des valeurs humanistes et dans notre constante remise en question nécessaire face aux défis et à l’évolution rapide de notre société dans un monde en ébullition. L'humain est au centre de nos projets. Créer des lieux de vie et de bien-être en valorisant des points du site, tel est notre challenge."
Le socle d'une approche renouvelée, apte à convaincre, tient tant à des réflexes simples et oubliés, qu'à des créations émergentes. Le partage d'idées est vecteur d'idées nouvelles partagées. A l'origine c'est conceptuel, au milieu c'est duel de concepts, à la fin il ne reste que le concept.
Art typique. Innover et créer sont deux mots souvent associés. Toujours associés, même, dans chacun de ces ateliers 'atypiques'. Chacun à leur manière. La création, le renouvellement des idées, de concepts, d'applications, comme de la manière de les présenter, tiennent une place centrale dans la démarche de ces ateliers 'atypiques' qui se réinventent eux-mêmes et tentent de réinventer la ville. "Ces dernières années, on nous pousse à “réinventer” observent en même temps que nous les deux associés du LUP, Laboratoire d'Urbanisme Pluriel, issus respectivement d'une formation d'architecte-urbaniste et de juriste, une complémentarité qui fait leur force. "La façon de construire la ville est sans cesse questionnée, les rapports entre les acteurs de plus en plus flous, les objectifs du projet urbain de plus en plus divers, les données sur lesquelles s’appuient les projets de plus en plus nombreuses et précises, appelant autant de spécialistes pour les traiter. Quand nous répondons à des missions spécifiques, nous intégrons toujours un double regard qui donne à nos projets un caractère très opérationnel."
"Réinventer les Réinventer" et le "Rez-de-Chausseur" pour le collectif Le Sens de la Ville, "Les Horizons à l'Horizon" pour Le Facteur Urbain... Rien que les noms des travaux de recherche menés par certains de ces bureaux d'études sont évocateurs et sources de questionnements. Un rôle d'agitateur du débat public que revendiquent un peu ces ateliers atypiques en tant que parties prenantes de l'évolution de l'urbanisme. Le Sens de la Ville, que nous évoquions juste avant, résume très bien son approche plurielle par sa définition même : "Nous appartenons à la grande famille de l’assistance à maîtrise d’ouvrage et nous définissons comme un « think and do tank » qui répartit ses activités entre missions opérationnelles, chantiers de recherche et expérimentations.".
Le mind mapping est par ailleurs en vogue, largement utilisé pour dénouer les noeuds traditionnels de l'urbaniste, les rendre accessibles et sources de curiosité dès leur accroche, notamment par le travail sur la sémantique, qui inspire lui-même de nouvelles idées & approches. Plusieurs de ces ateliers partent de mots percutants réassemblés comme un art, pour créer de nouvelles idées, s'inspirer eux-mêmes et inspirer les autres. L'art, ou du moins une forme d'art, et pour plusieurs de ces bureaux d'études le dessin, s'invite dans les projets ou dans certaines réunions pour dynamiser les discussions et présenter parfois de manière simple des concepts complexes.
Dès lors, on est peu étonné, même, d'assister à des créations artistiques dans certains de ces ateliers, ou que certains revendiquent l'expression libre comme l'une des inspirations voire des composantes de leur démarche de projet.
L'art s'invite même parfois, par extension, dans la ville et les territoires, et c'est là même une tradition, atypique que certains ateliers revendiquent, à l'image du POLAU – pôle arts et urbanisme – présent à Tours. Ce laboratoire d'urbanisme culturel est à l'origine de l'émergence de nombreux projets d'art dans la ville. Il revendique son rôle hybride, à la confluence des arts et de l'urbain. "Le concept principalement défendu par le POLAU est celui d’urbanisme culturel. Il s’agit de défendre la portée innovante de la création artistique et des outils culturels associés, afin, notamment, de renouveler les approches en urbanisme. L’idée conductrice consiste à montrer que les artistes peuvent apporter aux urbanistes, et inversement. Les deux dynamiques peuvent se « co-instrumentaliser » de manière fertile. Dans certaines conditions… à travailler et à garantir."
L'art dans la ville tisse des liens entre les urbanistes, les collectivités, les habitants, les lieux qu'ils co-créent et qu'ils parcourent.
On espère que des liens, il s'en tissera également entre les lecteurs et ces agences, à la lueur de ces entretiens recueillis auprès d'ateliers atypiques, qui nous ont fait l'honneur de prendre le temps de se poser pour nous répondre et pour partager leurs idées.
Ateliers atypiques, Ateliers altruites.